Jean Palou propose une introduction du Que sais-je? consacré à la Sorcellerie, datant de 2002 (10e éd., 128 pages, Presses Universitaires de France).
La Sorcellerie, différente de la Magie en ce qu’elle n’est pas une science et par cela même n’affectant que les mentalités primitives, a été un des fléaux des siècles passés. Ses origines plongent dans la nuit antique.
La triple Bombo évoquée par les sorcières de Thessalie va rejoindre les fées adorées par les paysannes inquiètes du Grand Siècle. La Sorcellerie est une imploration constante, dans le Monde occidental, aux survivances des dieux du Paganisme.
Elle est aussi une protestation conséquente aux religions dominantes : Catholicisme ou Religion Réformée. Elle s’affirme encore de nos jours chez les primitifs, face ou clandestinement aux religions exportées par l’Occident. Mais elle est bien plus encore ! Et ici nous voulons soutenir par de multiples exemples, une thèse qui, à notre connaissance, n’a jamais été encore soutenue.
La Sorcellerie est fille de la Misère. Elle est l’espoir des Révoltés. Elle est le fruit maudit par les Églises et le Pouvoir, de la Révolte. Toujours la Sorcellerie éclate en des pays troublés par les guerres civiles ou étrangères, par les catastrophes naturelles, où les peurs séculaires issues des anciens âges renaissent de leurs cendres.
Reflet des mœurs, la Sorcellerie est l’aspect le plus poussé des craintes et des haines. L’Homme tremblant devant les forces naturelles essaie de les dominer et de se les asservir. Il conjure le Mal. Au besoin il s’en servira à l’égard de son prochain, par haine ou… par amour. Ainsi naît le complexe du sorcier.
Quelle part d’illusion ou de rêve entre-t-il dans ce phénomène ? Il est très difficile d’en faire le départ. Quelle commune mesure entre la sorcière fruste des campagnes médiévales et le puissant seigneur Gilles de Rais sinon l’envie, la crainte et le goût du Mal ? entre ces paysannes suédoises ou allemandes du XVIIe siècle éprouvées par maladies et guerres, et les sorcières de l’affaire des Poisons, dévouées par lucre aux désirs inassouvis des grands de la Cour de Louis XIV ?
Une fois de plus, la différence est sociale. La Sorcellerie en elle-même, en ses effets, n’est qu’un aspect des crises sociales. Hors de là, on ne saurait la considérer que comme un phénomène ridicule, tout au plus bon à prétexte littéraire ou artistique.
Mais la réalité de la Sorcellerie s’affirme d’une manière affreuse dans le châtiment des sorciers. Les bûchers flambants couvrirent l’Europe, et les procédures innombrables s’entassent dans les Archives. Le Monde Judiciaire - ecclésiastique ou laïque - accrédita, développa la Sorcellerie.
Si celle-ci n’avait pas existé, les hommes, par leurs peurs et leurs cruautés originelles, l’auraient inventée. En face des illusions, ils ne surent, peu soucieux des réformes sociales, que torturer. En face des haines accumulées contre eux, ils ne surent que répondre par la mort, et non par la charité consciente de la profondeur de la maladie.
L’historien qui s’est plongé dans cet amas de folles pièces judiciaires, de tortures et de supplices ne peut que frissonner, rétrospectivement.
Rétrospectivement, c’est beaucoup dire. Les Peurs contemporaines prendront-elles une autre forme de persécution ? Les crises sociales actuelles n’engendreront-elles pas de nouvelles illusions formatrices de haine et créatrices de supplices ? Y aura-t-il une métamorphose du Diable et de nouveaux bûchers ?
Sorcellerie n’est qu’un mot dans la bouche des hommes, celui dont on pare l’ennemi spirituel ou l’ennemi tout court.
Sorciers ou Sorcières ne sont que les victimes désignées de l’adversité sociale.
Raison, où est ta victoire en ce monde de peurs et de haine où la Lumière n’apparaît que par éclairs, dans la Nuit ?
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