Une ethnographie de la sorcellerie

Dans un article publié sur le site du Journal du CNRS, le journaliste Jean-Yves Katelan parle de l’ethnographie de la sorcellerie. Ce dernier explique que dans certains pays d’Afrique centrale, des accusations de sorcellerie peuvent conduire à des violences graves sur les habitants, comme en Zambien, en Papouasie-Nouvelle Guinée … Jean-Yves Katelan a interrogé l’anthropologue Andrea Ceriana Mayneri sur les accusations en sorcellerie venant d’Afrique équatoriale. Des rapports récents montre une situation préoccupante. Ce dernier a demandé si il y avait une recrudescence des exactions liées à la sorcellerie ces dernières années ? Pour Andrea Ceriana Mayneri, « sur la base des données à notre disposition, il est très difficile de confirmer cette théorie de la recrudescence ». Selon l’anthropologue, chercheur à l’Imaf, Institut des mondes africains, « certains documents d’archives coloniales laissent même penser qu’il s’agit de phénomènes changeants mais d’intensité constante. Ce qui progresse est sans doute l’engouement récent des organismes internationaux et humanitaires pour la question des violences sorcellaires ». Homme de terrain, Andrea Ceriana Mayneri a expliqué que la sorcellerie est « difficile aujourd’hui d’appliquer une définition unique à ce mot, car l’idée même de sorcellerie change d’une société à une autre et dans le temps ». Ce dernier précise que pour les « européens, elle renvoie nécessairement à des superstitions, ou à un problème d’ordre théologico-religieux et à la chasse aux sorcières ». Alors qu’en Afrique, « les faits de sorcellerie préexistaient à la colonisation, mais cela ne pouvait être de la ‘sorcellerie’, car le mot n’est pas neutre. Dans la vision missionnaire, c’est tout à la fois un abaissement ou une dépravation des mœurs et un pacte avec le diable, le monde des ténèbres, le mal absolu ». Andrea Ceriana Mayneri explique que
« l’objectif de l’administration coloniale était de se prémunir contre les visions subversives qui auraient pu se développer à partir de la figure du ‘sorcier indigène’ – c’est le terme qu’on trouve dans les documents de l’administration coloniale, au tournant du XXe siècle. Mais le sorcier, pour l’administration, c’est essentiellement l’anti-sorcier  : le «ganga» le witch doctor, comme l’appellent les Anglais. Ici, le malentendu est formidable. L’administration coloniale s’attaquait au ganga, sans prendre en considération ce fonds de croyances qui attribue à quelqu’un un pouvoir maléfique ».
Ce dernier a évoqué le travail mené par l’anthropologue anglais Evans-Pritchard, « figure tutélaire des études sur la sorcellerie », expliquant que
« l’administration britannique s’est rendu compte qu’il était dangereux pour elle de continuer à persécuter les witch doctors car elle s’attaquait aux figures que les populations percevaient comme leur principale défense contre les vrais sorciers. Nous, nous expliquons une angine par un virus, alors que si l’on adhère à la logique sorcellaire, on cherche aussi à savoir : ‘pourquoi moi, et pas toi ?’ C’est une vraie théorie sociale, qui n’a rien à voir avec la religion. Elle est liée au pouvoir. Un pouvoir dont les populations locales ont l’impression d’avoir été « dépossédées  ». C’est un discours fort qui a pu basculer dans un autre discours de revendications, antimusulman, contre l’étranger, le voisin tchadien… »
Pour Andrea Ceriana Mayneri, les faits et accusations de sorcellerie sont des symptômes de sociétés, dont il faut voir comme « un mécanisme d’explication des événements, et du malheur en particulier ». Au Centrafrique, en langue sango, on ne dit pas «c’est une sorcière» mais «elle a le likundu» ou, dans les populations banda, «elle a l’õndro». L’anthropologue explique que « les mots que les Occidentaux ont choisi de traduire par ‘sorcellerie’, mais le mot ‘kundu’ par exemple, désigne le ventre ». Le ventre est d’importance, car
« la théorie très répandue dans toute l’Afrique centrale, c’est qu’on reconnaît un ‘sorcier’ à une substance qui réside dans son ventre, une sorte de poche abdominale. Dans certaines communautés, cette poche est décrite comme un petit animal, qui vivrait caché dans le ventre du sorcier. D’où une pratique fort répandue, interdite par les autorités coloniales, qui resurgit aujourd’hui (par exemple à Bangui)  : l’autopsie. Une autopsie pratiquée sur des personnes tuées en tant que sorciers. Et parfois, malheureusement, sur des personnes qui ne sont pas mortes… On leur ouvre le ventre à la recherche de cette poche abdominale, de cette substance ou de cet animal ».
Les violences contre les personnes accusées de sorcellerie, pourraient s’expliquer par ce que Patrice Yengo, anthropologue politique congolais francophone (Les Mutations sorcières dans le bassin du Congo, 2016), nomme des «communautés humaines en souffrance».  Ainsi, « l’incertitude sur son propre destin et celui de ses enfants est constante. Face à ce gaspillage de vies humaines, la recherche des causes du malheur devient une priorité  : ‘D’où vient ce malheur qui nous frappe quotidiennement ?’ Dans ce contexte d’extrême violence, le sorcier est une des figures les plus craintes, les plus haïes. Comme le voleur ou le violeur. C’est le mal incarné. Et il est puni en tant que tel ». Lire la suite sur le processus des accusations de sorcellerie, les châtiments et la position de la justice dans les procès de sorcellerie …

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